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La Scena Musicale - Vol. 8, No. 7

La Missa Solemnis de Franz Liszt

Par Sarah Choukah / 3 avril 2003


Propos de Miklós Takács recueillis et mis en forme par Sarah Choukah

Miklós Takács est une figure de premier plan parmi ceux qui contribuent à faire connaître des oeuvres oubliées. Son amour indéfectible pour les messes de Liszt l'a conduit jusqu'à la basilique Mathias de Budapest pour y diriger la grande Messe hongroise pour le couronnement (commandée pour l'adoubement de Franz Joseph II et d'Elizabeth, « Sissi » l'impératrice de Hongrie) à l'endroit où elle avait été jouée pour le sacre en 1867. La Missa Solemnnis fait l'objet de ce même retour aux origines, puisqu'il l'a également dirigée à l'endroit de sa première performance, la cathédrale d'Esztergom en Hongrie, pour laquelle elle avait été composée à son inauguration.

Ayant créé depuis quelque temps le plus grand choeur canadien, je m'intéresse beaucoup à des oeuvres taillées sur mesure pour ce genre de formations. J'ai également beaucoup d'affection pour des oeuvres plus intimistes comme les lieder de Schubert. Mais peu de personnes vont se frotter à des oeuvres qui demandent un aussi grand effectif. Cela demande un énorme travail en vue de donner au choeur (qui sera composé de 250 personnes) un élan unanime et unifié. Liszt décrit la sonorité du choeur dans la cathédrale d'Esztergom (qui est plus haute que le Panthéon de Paris) comme une vraie cacophonie, à cause des échos incessants. Il qualifie même le credo de « véritable jugement dernier ». C'est cette grandeur, ce coté majestueux et ce déchaînement qui me font aimer la pièce. J'apprécie également les passages plus intimistes, qui contrastent avec ces moments forts.

Selon Ferenc Bonis : «Le connaisseur est avant tout séduit, en écoutant cette oeuvre, par la maestria de son modelé. De même que dans ses poèmes symphoniques et ses concertos pour piano, Liszt y a imaginé une grande forme unique et cohérente, une monumentale sonate romantique dont les matériaux thématiques dépassent le cadre des différents morceaux (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Benedictus, Agnus Dei) pour former une unité supérieure.»

La Missa Solemnis n'est pas construite sur la forme de la sonate classique, celle-ci étant trop rigide et complexe pour une telle oeuvre, mais plutôt avec le même abandon que la Sonate en si mineur. Il y a aussi l'influence du poème symphonique qui a été développé par Liszt, qui se fait ressentir dans la messe, ce besoin d'amalgame de tous les arts qui existent en un seul, d'unité et de pureté pourtant très expressives et presque dramatiques. On peut aussi remarquer cette répétition très intéressante des thèmes chaque fois que des paroles semblables sont utilisées, procédé analogue au leitmotiv wagnérien.

Cet aspect un peu «profane» du romantisme appliqué à une messe est l'expression même de la place qu'occupait la religion dans la vie de Liszt. Ayant eu un père très dévot qui a failli entrer dans les ordres (nous n'aurions alors jamais connu son fils !), Liszt sera lui-même un chrétien très pratiquant, mais n'a pas mené une vie aussi pieuse et exemplaire qu'il l'aurait souhaité. On pense notamment à sa relation avec la comtesse Marie d'Agoult, qui a littéralement quitté mari et enfants pour vivre avec lui.

Suivant une ancienne tradition, le début du Kyrie et la fin de l'Agnus Dei sont presque identiques.

Les caractéristiques du début contrastent avec la conception avec la conception mélodique du Christe eleison, confié au solo ténor. Ce thème reviendra souvent souvent dans les autres mouvements pour exprimer l'intensité répétitive de la prière

L'orchestration bien colorée du début du Gloria crée une atmosphère scénique. Le thème du Et in terra pax se poursuit dans une métamorphose jusqu'à un dernier point culminant sur les paroles Domine Deus, chantées en alternance par les solistes et le choeur et soutenus par un orchestre à caractère dramatique.

Cette apothéose est en contraste avec la partie centrale de ce mouvement. sur Le texte Qui tollis... et Misere, dont le motif fait allusion au Christe eleison, évoque un esprit de supplication.

La suite du Gloria est une reprise de la première partie, qui aboutit à une coda éclatante, d'un effet sonore d'une grande puissance.

L'immense tableau du Credo commence par la fanfare des cuivres, dont le thème ostinato soutient toute la première partie. À partir du texte Deum de Deo, les solistes et le choeur en écho, cherchent à exprimer les mystères de la foi. L'orchestration avec la harpe prête un caractère intime à ce passage. Les lignes mélodiques descendantes, confiées aux solistes, dessinent l'incarnation, sur les paroles Descendit de caelis.

Le drame de la crucifixion est exprimé par une succession harmonique dissonante et syncopée, en contraste avec le thème de la résurrection repris du début du Gloria. L'image sonore du jugement dernier est équivalente à la fresque de Michelangelo. Après une courte fugue sur les paroles : « Et unam sanctam catholicam et apostolicam ecclesiam », et par le biais des idées reprises, le mouvement aboutit à la vision prophétique de la vie éternelle.

Le commencement du Sanctus sur un ton de jubilation est en contraste avec la suite à caractère méditatif. Le Benedictus, chanté par les solistes, reprend le thème du Christe eleison. Liszt a eu l'intention de récapituler ses idées dans l'Agnus Dei. C'est ainsi que l'architecture de la messe est achevée par la conclusion thématique de l'oeuvre.

La Missa Solemnis est marquée d'une inspiration incomparable, alimentée par la foi de Liszt qui avait d'ailleurs écrit à Wagner : « J'ai prié cette messe plutôt que je ne l'ai composée.»

Malgré le grand succès qu'obtint la messe lors des nombreuses représentations du vivant de Liszt et pour des raisons un peu nébuleuses, ce chef-d'oeuvre sombra quelque peu dans l'oubli après la mort du compositeur.

Ce concert cherche à contribuer à la redécouverte de ce joyau digne de la plus haute estime.

Le coup de coeur du chef

Miklós Takács recommande sa propre version de la Missa Solemnis sur étiquette Pelléas avec l'Orchestre symphonique de Pécs et le Choeur Kodály de Debrecen.

Miklós Takács dirigera l'oeuvre en première canadienne le 18 avril à l'église Saint-Jean-Baptiste avec le Choeur de l'UQAM et l'Orchestre de la Société philharmonique de Montréal. Pour plus d'information, composez le (514) 281-6364.


(c) La Scena Musicale 2002